Lundi vers 22h
Je viens d’apprendre que ton cœur ne bat pas, ne bat plus. Je suis seule dans cette salle d’examen. J’appréhendais d’être seule à ce moment précis avant même de venir aux urgences, pourtant accompagnée au début par ma doulamie. Je suis auprès d’une interne qui compatis à ma douleur mais qui est maladroite dans ces propos: me parlant en statistiques, banalisant ce que je traverse et la suite de cette épreuve. Elle m’expose un bla-bla médical, ce qui est possible ensuite pour évacuer l’embryon, les délais etc. Je l’entends, je l’écoute, mais je sais déjà ce que je veux pour toi, pour moi, pour que l’on se dise au revoir. Je veux vivre pleinement cette traversée, je veux t’accompagner de moi-même jusqu’au bout, jusqu’à ce que l’on se quitte.
Les contractions se sont déjà intensifiées, maintenant je n’ai plus le choix, je dois écouter mon corps, il me guide.
Je vais rester environ une heure à vivre seule ma douleur, ayant envie de partir loin pour ne pas voir souffrir mon chéri et mon fils. Je suis en contact par message avec des amies mais ma douleur est intense et j’ai l’impression que rien ne l’apaisera. Je ne me sens pas assez forte pour vivre cela et vivre avec ça tout le restant de ma vie.
Mon chéri vient me chercher et je ne trouve pas les mots pour lui dire. J’échange avec lui quelques banalités afin de repousser le moment fatidique, mais quelques toutes petites minutes plus tard (c’est arrivé bien trop vite selon moi), il me demande comment ça s’est passé. Alors je m’effondre, je ne peux pas le dire, prononcer l’imprononçable. Et il comprend, il n’y a pas besoin de mot, il sait. Et moi je sais à ce moment là qu’il est là, à mes côtés, qu’il va m’aider, on va s’aider mutuellement, on va vivre cette épreuve ensemble, main dans la main.
Vers 00h00
Je suis épuisée de cette journée, mais je me sens sale, j’ai besoin d’une douche, je laisse l’eau me couler dessus quelques instants. Je regarde parfois mon ventre et me demande comment est-ce possible de porter la mort, tu es mort en moi mais tu es toujours en moi, tu es juste là, tout près. J’ai appris lors de l’examen que cela fait environ quatre semaines que je te porte alors que tu es mort. Je le savais au fond de moi, j’appréhendais ce premier trimestre, je ne le sentais pas, mais je voulais attendre, encore un peu, toujours un peu plus de temps avec toi, tout près, ensemble.
Je ne le savais pas ce soir là mais je vais avoir quelques nuits difficiles devant moi, des endormissements longs, des réveils nocturnes en larmes tellement la douleur est intense, j’ai mal aux tripes, j’ai mal, tellement mal. Des nuits courtes, mais tu es encore là, avec moi.
Mercredi 23/03 vers 7h30
Les contractions ne m’ont plus jamais quittée depuis que j’ai pris la décision de consulter. Mais cette nuit là elles se sont encore intensifiées. Vers 7h30, cela me réveille à nouveau, je ne peux pas rester allongée, je dois me lever, je vais accoucher, je le sais. Je vais aux toilettes mais je ne veux pas rester ici, je veux te voir, mon bébé, mon tout petit (petit pois comme ton papa t’appelle). Je décide d’aller sous la douche, je n’en sortirai pas avant 10h30.
J’évacue des caillots, je pousse quand j’en ai envie, je souffle, j’ai mal, je contracte bien, c’est intense mais je me sens à ma place, je veux vivre ça avec toi. Et puis au bout d’un certain temps le sac amniotique sort, je le reconnais, je sais que tu es là, tu es dedans. Je pleure mais je suis fière de moi, de nous, on a réussi ensemble. Mon chéri se réveille peu de temps après, il m’a entendu. Il vient me voir, il est là si besoin, il va ensuite jongler entre notre fils qui va se réveiller peu de temps après et moi qui va le solliciter de temps en temps pour boire, manger, m’apporter des vêtements, des protections…
Je reste encore pas mal de temps sous la douche, j’évacue beaucoup de caillots, et je perd du sang. Au bout d’un certain temps, je prends peur, il y a beaucoup de sang. Je demande à mon chéri d’appeler une doulamie pour m’aiguiller. Elle m’aide à me recentrer sur mes ressentis, mes sensations, et je ne me sens pas si mal physiquement. Je vais continuer à saigner. Je fais quelques tentatives pour sortir de la douche, j’y reviens à deux fois parce que je saigne trop pour le moment. Après trois heures passées dans cet espace, j’ai besoin de sortir, les saignements ont bien ralenti, je vais pouvoir sortir, j’ai besoin d’être au chaud, je veux manger un peu.
Après avoir déposé notre fils à une activité, mon chéri revient avec un croissant, que je commence assise dans la salle de bain. Deux bouchées plus tard, je me sens partir, ma vision se trouble, je bascule la tête en arrière, sur les côtés, j’ai du mal à garder les yeux ouverts, ça ne va pas. Je lui dis que je fais un malaise, qu’il faut que je m’allonge immédiatement. Je me retrouve en quelques secondes sur le sol froid de ma salle de bain, les pieds relevés. Ouf je reviens rapidement à moi, j’ai eu peur.
Au bout de quelques minutes, j’ai froid et ce n’est pas confortable. Mon chéri m’aide à marcher jusqu’au canapé, je ne veux pas être isolée dans ma chambre, je veux entendre les bruits de la pièce de vie. Je vais passer ma journée nue avec seulement une grosse culotte de protection, sous une couette bien chaude, tout emmitouflée, avec une tisane, de quoi grignoter et mon portable pour me passer le temps en regardant «La reine des neiges II» et répondre aux messages de mes doulamies, ma famille qui prennent des nouvelles de moi. Je vais m’asseoir, m’allonger, me mettre en position demi-assisse, m’asseoir, m’allonger, me lever très peu parce que j’ai des vertiges en position debout. Je suis affaiblie, je le sens, je n’aime pas ça, j’aime être active mais là je ne peux pas. J’ai toujours des contractions, pensant que se sont déjà les tranchées. Maintenant que j’ai pu accoucher comme je le souhaitais, je m’autorise à soulager mes douleurs avec des médicaments, ça y est j’en ai marre d’avoir mal.
Le soir, nous prendrons le temps avec mon chéri et notre fils (en s’adaptant à ce qu’il peut supporter) de te déposer au pied d’un beau bégonia rose que mes amours m’ont acheté la veille, cette plante est sacrée pour nous. Tu restes près de nous, tu fais pleinement parti de notre vie à tous les trois.
Dans la nuit de jeudi à vendredi
J’ai eu des contractions pendant toute la journée, je devais enchaîner les prises de médicaments sinon j’avais mal, chose que je n’ai pas toujours faite, voulant espacer les doses, alors j’ai parfois eu de fortes, très intenses contractions. Je me demande si ce sont bien les tranchées, j’avais eu très mal lors du post-partum de mon fils, mais là c’est très intense quand même. Je garde en tête que je n’ai peut-être pas tout évacué, il reste peut-être le trophoblaste (le futur placenta).
Dans la nuit, je vais tousser et sentir quelque chose de gros sortir de mon vagin, j’ai l’impression que c’est énorme dans ma culotte. Je réveille mon chéri, je lui dis que je vais peut-être avoir besoin de lui. Je vais aux toilettes, effectivement c’est gros, bien plus gros que ce qui est sorti de mon corps mercredi. Je sais que c’est le trophoblaste, je sens que tout est fini, il n’y aura plus rien à évacuer, c’est terminé. Je mets du temps à me rendormir, contrairement aux autres nuits où je pleurais pendant mes insomnies, là je me sens tellement forte, une grande puissance m’habite, j’aime mon corps, je le remercie du fond du cœur de m’avoir permis cela, je suis fière de moi, de toi, de mon chéri de tout ce qu’on a mis en place pour nous permettre de vivre ça, c’est fort, c’est puissant.
Cette puissance ne va pas me quitter de toute la journée du vendredi, je vais bien ce jour là, je me sens pleine d’énergie.
Le mois et demi qui va suivre sera difficile, je vais être très triste parfois, et d’autres moments plus légers et joyeux. Mes émotions seront très ambivalentes, très changeantes dans une même journée. M’occuper de mon fils sera compliqué pour moi, la gestion de ses émotions est une montagne qui s’impose devant moi, je ne peux pas gérer sa tristesse, ses colères, ses frustrations. Je me sens plus apaisée quand mon chéri est là, il sera mon pilier pendant au moins deux mois.
Et puis la tristesse à laisser place petit à petit à la joie, au bonheur. Je dois dire que j'ai été très entourée par mon chéri, ma famille, mes doulas, sans tout cela, je n'en serais peut-être pas là aujourd'hui.
Cette puissance que j’ai connue est en moi à tout jamais. Je pensais me vidée complètement dans cette traversée, sombrer, et finalement j’ai une grande énergie, je me sens forte, j’ai plus confiance en moi, je sais ce dont je suis capable, mon corps est incroyable peu importe comment il est physiquement. Je me sens pleine de quelque chose, d’une puissance.
J’ai lu la citation suivante dans un livre, il n’y a pas longtemps:
« L’aboutissement d’un deuil normal n’est en aucune façon l’oubli du disparu, mais l’aptitude à le situer à sa juste place dans une histoire achevée, l’aptitude à réinvestir pleinement les activités vivantes, les projets et les désirs qui donnent de la valeur à l’existence. »
Monique Bydlowski, Je rêve un enfant
(ce récit n’est pas une généralité de ce que vivent les femmes dans une épreuve comme celle-ci. Chaque femme, chaque coparent, chaque famille, vit des choses différentes, parfois avec des similitudes)
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